Matrice triangulaire

algèbre linéaire

En algèbre linéaire, une matrice triangulaire est une matrice carrée dont tous les coefficients sont nuls d’un côté ou de l’autre de la diagonale principale. C’est en particulier le cas si la matrice est diagonale. Une matrice est triangulaire stricte si elle est triangulaire et que tous ses coefficients diagonaux sont nuls.

( 1 0 3 0 0 5 6 7 0 0 0 9 0 0 0 10 ) {\displaystyle {\begin{pmatrix}1&0&3&0\\0&5&6&7\\0&0&0&9\\0&0&0&10\end{pmatrix}}}
Une matrice triangulaire supérieure

Remarque préliminaire

Dans ce qui suit, on considérera un anneau unitaire R non forcément commutatif, des R-modules à gauche et des R-modules à droite. Le lecteur qui n'est pas familier avec les anneaux non commutatifs et les modules à gauche ou à droite peut supposer que l'anneau R est commutatif et ne pas lire les passages où l'hypothèse contraire est faite. Si l'anneau R est commutatif, les R-modules à gauche et les R-modules à droite coïncident et sont simplement les R-modules. De même, le lecteur qui n'est pas familier avec les modules peut supposer que R est un corps et ne pas lire les passages où l'hypothèse contraire est faite. Si R est un corps, les R-modules à gauche (resp. à droite) sont les R-espaces vectoriels à gauche (resp. à droite). Enfin, si le lecteur n'est pas familier avec les corps non commutatifs et les espaces vectoriels à gauche et à droite, il peut supposer que R est un corps commutatif et ne pas lire les passages où des hypothèses contraires sont faites. Si R est un corps commutatif, les R-modules à gauche et à droite coïncident avec les R-espaces vectoriels.

Matrices triangulaires supérieures

Soit R un anneau unitaire. Par définition, une matrice triangulaire supérieure à coefficients dans R est une matrice carrée à coefficients dans R dont les valeurs sous la diagonale principale sont nulles :

A = ( a i , j ) = ( a 1 , 1 a 1 , 2 a 1 , n 0 a 2 , 2 a 2 , n 0 0 a n , n ) {\displaystyle A=(a_{i,j})={\begin{pmatrix}a_{1,1}&a_{1,2}&\cdots &\cdots &a_{1,n}\\0&a_{2,2}&&&a_{2,n}\\\vdots &\ddots &\ddots &&\vdots \\\vdots &&\ddots &\ddots &\vdots \\0&\cdots &\cdots &0&a_{n,n}\\\end{pmatrix}}}

A est triangulaire supérieure si et seulement si :

i > j , a i , j = 0 {\displaystyle \forall i>j,\quad a_{i,j}=0}

Matrices triangulaires inférieures

Soit R un anneau unitaire. Par définition, une matrice triangulaire inférieure à coefficients dans R est une matrice carrée à coefficients dans R dont les valeurs au-dessus de la diagonale principale sont nulles :

A = ( a i , j ) = ( a 1 , 1 0 0 a 2 , 1 a 2 , 2 0 a n , 1 a n , 2 a n , n ) {\displaystyle A=(a_{i,j})={\begin{pmatrix}a_{1,1}&0&\cdots &\cdots &0\\a_{2,1}&a_{2,2}&\ddots &&\vdots \\\vdots &&\ddots &\ddots &\vdots \\\vdots &&&\ddots &0\\a_{n,1}&a_{n,2}&\cdots &\cdots &a_{n,n}\\\end{pmatrix}}}

A est triangulaire inférieure si et seulement si :

i < j , a i , j = 0. {\displaystyle \forall i<j,\quad a_{i,j}=0.}

Propriétés des matrices triangulaires

  • La transposée d'une matrice triangulaire supérieure est une matrice triangulaire inférieure, et vice-versa.
  • Une matrice triangulaire à la fois inférieure et supérieure est une matrice diagonale.
  • Une matrice A ∈ Mn(R) strictement triangulaire, c'est-à-dire triangulaire et de coefficients diagonaux nuls, est nilpotente car An = 0[1].
  • Si une matrice normale (à coefficients complexes) est triangulaire alors elle est diagonale[2],[3].
Démonstration

Raisonnons par récurrence sur l'ordre n de la matrice normale A (triangulaire supérieure, par exemple). Si n = 1, il n'y a rien à démontrer. Si n > 1, décomposons A par blocs : A = ( a L 0 B ) {\displaystyle A={\begin{pmatrix}a&L\\0&B\end{pmatrix}}} L (matrice ligne) et B (triangulaire supérieure) sont d'ordre n – 1. Alors ( | a | 2 L L + B B ) = A A = A A = ( | a | 2 + L L B B ) {\displaystyle {\begin{pmatrix}|a|^{2}&\cdots \\\cdots &L^{*}L+B^{*}B\end{pmatrix}}=A^{*}A=AA^{*}={\begin{pmatrix}|a|^{2}+LL^{*}&\cdots \\\cdots &BB^{*}\end{pmatrix}}} en particulier LL* = 0 — c'est-à-dire que la somme des carrés des modules des coefficients de L est nulle — donc L = 0. Par conséquent, L*L = 0. Ainsi, B est normale donc (par hypothèse de récurrence) diagonale, donc A aussi.

  • Si A et B sont deux matrices triangulaires inférieures (respectivement supérieures) d'ordre n alors A + B et –A aussi. Dans le groupe abélien (Mn(R), +) des matrices à n lignes et n colonnes à coefficients dans R, les matrices qui sont triangulaires inférieures (respectivement supérieures) forment donc un sous-groupe.
  • Si A est triangulaire inférieure (respectivement supérieure) alors λA et Aλ aussi, pour tout scalaire λ. Les matrices qui sont triangulaires inférieures (respectivement supérieures) forment donc un sous-bimodule du R-R-bimodule[4] Mn(R).
  • Si A et B sont deux matrices triangulaires inférieures (respectivement supérieures) d'ordre n alors AB aussi.
  • Puisque, dans Mn(R), la matrice identité est diagonale et donc à la fois triangulaire supérieure et triangulaire inférieure, les deux points précédents montrent que l'ensemble des matrices triangulaires supérieures (resp. inférieures) est un sous-anneau de Mn(R). Si l'anneau R est commutatif, ce sous-anneau est même une sous-algèbre (en général non commutative) de Mn(R)[5].
  • Si A = (ai,j)i,j et B = (bi,j)i,j sont des matrices Mn(R) triangulaires supérieures (resp. inférieures), le i-ème coefficient diagonal de AB est ai,i bi,i. Autrement dit, la diagonale de AB est le produit composante par composante des diagonales de A et de B.
  • Si l'anneau R est commutatif, le déterminant d'une matrice triangulaire à coefficients dans R est le produit de ses coefficients diagonaux : det ( ( a i , j ) ( i , j ) [ [ 1 ; n ] ] 2 ) = i = 1 n a i , i . {\displaystyle \det \left((a_{i,j})_{(i,j)\in [\![1;n]\!]^{2}}\right)=\prod _{i=1}^{n}a_{i,i}.} (Si la matrice est triangulaire supérieure, développer suivant les mineurs de la première colonne et raisonner par récurrence sur la taille de la matrice. Si la matrice est triangulaire inférieure, développer suivant les mineurs de la première ligne.)
  • Si R est un corps commutatif et A une matrice triangulaire à coefficients dans R, les valeurs propres de A sont ses coefficients diagonaux. (En effet la matrice X Id - A est, elle aussi, triangulaire, donc, d'après le point précédent, le déterminant de cette matrice, c'est-à-dire le polynôme caractéristique de A, est égal au produit des X – ai,i, où ai,i parcourt les coefficients diagonaux de A.)
  • Si A est une matrice triangulaire supérieure (respectivement inférieure) appartenant à Mn(R) et si tous les coefficients diagonaux de A sont inversibles dans l'anneau R alors la matrice A est inversible dans l'anneau Mn(R). Dans ce cas, son inverse est aussi une matrice triangulaire supérieure (respectivement inférieure)[6]. Il résulte de l'avant-dernier point que les coefficients diagonaux de l'inverse de A sont alors les inverses des coefficients diagonaux de A et sont donc inversibles dans R. Donc les matrices triangulaires supérieures (respectivement inférieures) appartenant à Mn(R) dont les coefficients sont inversibles dans R forment un sous-groupe du groupe multiplicatif GL(n, R) (groupe multiplicatif des éléments inversibles de Mn(R)).
  • La réciproque du premier énoncé du point précédent n'est pas vraie en toute généralité, en ce sens qu'on peut trouver un anneau R, un entier naturel n et une matrice triangulaire appartenant à Mn(R) qui soit inversible dans Mn(R) mais dont les coefficients diagonaux ne soient pas tous inversibles. (Nous verrons plus loin qu'un tel anneau ne peut pas être un corps et ne peut pas être commutatif.)
Contre-exemple[7]

Soient R un anneau et a, b des éléments de R tels que ab = 1 et ba ≠ 1.

(Le cas se rencontre : prendre pour R l'anneau des endomorphismes d'un espace vectoriel admettant une base dénombrable infinie v0, v1…, la multiplication dans cet anneau étant la composition ∘ définie par fg : xf(g(x)).

Prendre pour a l'opérateur de décalage à gauche qui applique v0 sur 0 et, pour tout i au moins égal à 1, applique vi sur vi–1. Prendre pour b l'endomorphisme de décalage à droite qui, pour tout i, applique vi sur vi+1. Alors ab = id mais ba (v0) = 0, donc ba ≠ id.) Des relations ab = 1 et ba ≠ 1, il résulte que a et b ne sont pas inversibles. La matrice triangulaire inférieure A := ( a 0 1 b ) {\displaystyle A:={\begin{pmatrix}a&0\\1&b\\\end{pmatrix}}} est inversible, car le calcul montre que la matrice B := ( b 1 b a 1 a ) {\displaystyle B:={\begin{pmatrix}b&1-ba\\-1&a\\\end{pmatrix}}} est inverse à gauche et inverse à droite de A. Pourtant, les coefficients diagonaux de A sont a et b, qui, comme nous l'avons vu, ne sont pas inversibles dans R. On voit aussi que l'inverse de A n'est pas triangulaire inférieure (ce qui, vu la propriété de la diagonale du produit de deux matrices triangulaires inférieures, découle d'ailleurs du fait que les coefficients diagonaux de A ne sont pas inversibles).

  • En revanche, si l'anneau R est commutatif, si une matrice triangulaire à coefficients dans R est inversible, ses coefficients diagonaux sont inversibles. En effet, le déterminant de cette matrice est alors inversible. Nous avons vu que le déterminant de cette matrice est le produit de ses coefficients diagonaux, donc le produit des coefficients diagonaux est inversible, donc chaque coefficient diagonal est inversible.
  • De même, si R est un corps (non forcément commutatif), si une matrice triangulaire à coefficients dans R est inversible, ses coefficients diagonaux sont inversibles, c'est-à-dire (puisque R est un corps) non nuls.
Démonstration

Soit par exemple A une matrice triangulaire supérieure inversible de taille n à coefficients dans le corps R. Si, par absurde, le i-ème coefficient diagonal de A est nul, alors les i premières colonnes de A sont engendrées, dans le R-espace vectoriel à droite Rn, par les i – 1 premiers vecteurs de la base canonique de cet espace, donc sont liées, donc la famille des vecteurs colonnes de A n'est pas une base du R-espace vectoriel à droite Rn. Il en résulte[8] que la matrice A n'est pas inversible dans R, contradiction.

  • L’ensemble des matrices triangulaires supérieures (resp. inférieures) strictes forme une algèbre nilpotente.

Notes et références

  1. Si R est commutatif, c'est un cas particulier du théorème de Cayley-Hamilton. Mais on peut le démontrer bien plus élémentairement, et pour R quelconque, comme dans cet exercice corrigé de la leçon « Matrice » sur Wikiversité.
  2. (en) Gene H. Golub et Charles F. Van Loan, Matrix Computations, Johns Hopkins University Press, , 3e éd., 694 p. (ISBN 978-0-8018-5414-9, lire en ligne), p. 318, Problem P7.1.1.
  3. (en) Yousef Saad, Iterative Methods for Sparse Linear Systems : Second Edition, SIAM, , 2e éd., 528 p. (ISBN 978-0-89871-534-7, lire en ligne), p. 20.
  4. La multiplication des matrices à gauche ou à droite par des scalaires munit le groupe additif Mn(R) d'une structure de R-module à gauche ou à droite (ces deux structures coïncident si l'anneau R est commutatif).
  5. N. Bourbaki, Algèbre, I, Chapitres 1 à 3, Paris, , III.12.
  6. Voir par exemple Bourbaki 1970, p. II.152.
  7. Ce contre-exemple est une solution de Bourbaki 1970, § 10, exerc. 2, b, p. II.205.
  8. Voir par exemple Bourbaki 1970, p. II.150.

Articles connexes

Théorème de Lie-Kolchin

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Matrices
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