Thermalisation des neutrons

Schéma de la thermalisation des neutrons

La thermalisation des neutrons est le ralentissement des neutrons par une suite de chocs avec les noyaux des atomes d'un modérateur. Un neutron thermalisé est dit neutron thermique ou neutron lent. Il a une énergie cinétique inférieure à 0,025 eV et une vitesse inférieure à 2 190 m/s. On le distingue ainsi des neutrons dits neutrons rapides dont l'énergie est supérieure à 0,907 MeV et la vitesse supérieure à 13 170 km/s[1]. Le spectre des énergies intermédiaires est dit épithermique.

Un réacteur à neutrons thermiques ou réacteur à neutrons lents utilise un modérateur pour ralentir les neutrons issus des réactions de fission. En l'absence de modérateur, le réacteur est appelé réacteur à neutrons rapides.

La principale raison pour laquelle on utilise ce procédé de ralentissement des neutrons est de permettre aux neutrons d'interagir avec les atomes fissiles (uranium 235 ou plutonium 239) présents dans le combustible d'un réacteur nucléaire. En effet, lorsqu'un atome fissile se brise après absorption d'un neutron thermique, il émet deux ou trois neutrons rapides possédant une vitesse comparable à 20 000 km/s (énergie de l'ordre de 2 MeV). À cette vitesse, il est peu probable qu'un autre atome fissile absorbe ce neutron, et ce pour deux raisons:

  • d'une part, s'il y a collision, la probabilité de déclencher une fission est plus faible pour un neutron rapide (la section efficace est sensiblement 250 fois plus grande avec un neutron thermique qu'avec un neutron rapide)
  • et d'autre part, le neutron rapide va pour l'essentiel, en ligne droite et sort rapidement du cœur du réacteur, tandis que le neutron thermique effectue un mouvement brownien aléatoire lui donnant une trajectoire bien plus longue.

C'est pourquoi dans une centrale nucléaire, il est préférable d'effectuer la thermalisation des neutrons à l'aide d'un modérateur pour permettre un meilleur rendement du réacteur.

Chocs en ralentissement

En réacteur à eau pressurisée les neutrons de fission sont émis à une vitesse moyenne voisine de 19 300 km/s, la vitesse de thermalisation est de 3,1 km/s, soit environ 6 250 fois moins. Près de 30 chocs sont nécessaires pour effectuer ce ralentissement sans qu'intervienne de capture. La durée du ralentissement est de l'ordre de 4,2 × 10−5 s ce qui est très rapide comparé par exemple à la durée de vie moyenne des neutrons (plus de 800 secondes) ou au délai moyen de production des neutrons retardés (plus de 10 secondes).

À remarquer que l'oxygène très peu capturant ne perturbe que modérément l'efficacité de l'eau ou de l'eau lourde et améliore un peu la situation dans le combustible.

Avec l'uranium (métallique) pur près de 2 000 chocs sont nécessaires pour rallier l'énergie thermique, ce qui ne laisse que peu de chance au neutron de ne pas être capturé par l'uranium 238, on trouve ainsi une illustration de la nécessité d'atomes légers modérateurs dans le réacteur[réf. nécessaire].

Corps
considéré
Rapport moyen de
réduction de
vitesse par choc = ε {\displaystyle \varepsilon }
Nombre moyen
de chocs pour
thermalisation
Observations
Hydrogène (pur) 0,636 19 Cas théorique
Oxygène (pur) 0,942 147 Cas théorique
Eau légère 0,725 27 {\displaystyle {\color {Blue}27}}
Deutérium (pur) 0,710 26 Cas théorique
Eau lourde 0,780 35 {\displaystyle {\color {Blue}35}}
Graphite 0,925 112 {\displaystyle {\color {Blue}112}}
Béryllium 0,903 86
Zirconium 0,989 804
Uranium enrichi 0,996 2 086 Cas théorique sauf en
réacteur de recherche
Oxyde d'uranium 0,960 212
Sodium 0,959 204 T = 500 °C
Démonstration

Choc élémentaire en ralentissement

Au cours d'un choc avec un noyau de masse A[2] le neutron voit sa vitesse initiale v1 (son énergie E1) réduite à v2 (énergie E2). La valeur de v2 dépend de la nature du choc (direct ou avec une incidence, comme les boules de billard); on peut montrer que le rapport du carré des vitesses après et avant le choc est égal à :

  • ( v 2 v 1 ) 2 = ( A 2 + 2 × A × cos ϕ + 1 ) ( A + 1 ) 2 {\displaystyle \left({v_{2} \over v_{1}}\right)^{2}={(A^{2}+2\times A\times \cos {\phi }+1) \over (A+1)^{2}}} avec ϕ = l’angle de déviation du neutron par rapport à sa vitesse initiale dans le référentiel du centre de masse.
  • si le neutron est à peine dévié (ϕ = 0) . v 2 = v 1 {\displaystyle .\qquad v_{2}=v_{1}}
  • si le neutron rebondit dans sa direction d’arrivée (soit donc ϕ = π) la vitesse v2 est minimale et vaut : v 2 = v 1 × ( A 1 A + 1 ) {\displaystyle v_{2}=v_{1}\times \left({A-1 \over A+1}\right)}
  • si en outre, A vaut 1 (le noyau de l'atome hydrogène) : ( A 1 A + 1 ) = 0 . {\displaystyle \left({A-1 \over A+1}\right)=0\qquad .} le neutron peut être arrêté en un seul choc

La valeur moyenne de la vitesse v2 sur l’ensemble des chocs possibles (direct ou incident), soit donc sur l’ensemble des valeurs de ϕ possibles, est calculable par sommation simple de

A 2 + 2 × A × cos ϕ + 1 ( A + 1 ) . {\displaystyle {{\sqrt {A^{2}+2\times A\times \cos {\phi }+1}} \over (A+1)}\qquad .} avec ϕ variable de 0 à π, par exemple suivant la méthode des trapèzes.

On note ε = v 2 m o y v 1 {\displaystyle \varepsilon ={v_{2moy} \over v_{1}}}

Plus la masse A est petite plus la valeur de ε est faible, plus le neutron est ralenti en moyenne au cours d’un choc ; le modérateur est nécessairement un atome léger (cf, tableau ci-dessus)

  • Dans le cas l'eau (et de l'eau lourde), il faut également tenir compte de la présence de l'oxygène nettement plus lourd que l'hydrogène. 1/3 des chocs dans le modérateur se font avec l'oxygène. La réduction moyenne de vitesse au cours d'un choc dans le modérateur vaut :
ε e a u = ( ε H 2 × ε O ) 1 / 3 {\displaystyle \varepsilon _{eau}=(\varepsilon _{H}^{2}\times \varepsilon _{O})^{1/3}}
ε e a u   l o u r d e = ( ε D 2 × ε O ) 1 / 3 {\displaystyle \varepsilon _{eau~lourde}=(\varepsilon _{D}^{2}\times \varepsilon _{O})^{1/3}}
  • De même dans le cas d'un combustible UO2 il faut tenir compte des deux atomes d’oxygène auxquels l'uranium est lié chimiquement.
ε U O 2 = ( ε O 2 × ε U ) 1 / 3 {\displaystyle \varepsilon _{UO2}=(\varepsilon _{O}^{2}\times \varepsilon _{U})^{1/3}}

Nombre de chocs en ralentissement

Dans un réacteur à eau pressurisée les neutrons de fissions sont émis à une énergie cinétique moyenne de (4,8 MeV / 2,47 neutrons par fission) = 1,943 3 MeV soit une vitesse moyenne de 19 282 km/s ; la température de l'eau primaire est de (304,5 + 273,15) = 577,65 K[3]; l'énergie thermique correspondante vaut :

577,65 × (constante de Boltzmann) = 577,65 × 1,381 × 10−23 J/K = 7,975 × 10−21 J = 0,049 78 eV ; la vitesse des neutrons ayant cette énergie cinétique est égale à 3,086 km/s. Le rapport de réduction de vitesse entre les neutrons issus des fissions et les neutrons thermalisés vaut donc 3,086 / 19 282 = 0,000 160 05

Le nombre moyen de chocs nécessaires = n, est solution de la relation :

ε n = 0,000 160 05 {\displaystyle \varepsilon ^{n}=0{,}000\,160\,05}

d'où

n = ln ( 0,000 160 05 ) ln ( ε ) {\displaystyle n={\ln(0{,}000\,160\,05) \over \ln(\varepsilon )}}

Délai de thermalisation

Pour apprécier le délai de thermalisation on évalue le libre parcours moyen de diffusion des neutrons thermiques et rapides dans l'eau égal à l'inverse de la section efficace macroscopique de diffusion. Connaissant le nombre de chocs et la vitesse le délai s'en déduit :

  • Concentration des atomes d'hydrogène dans l'eau à 304,5 °C155 bars = 4,791 × 1022 at/cm3
  • Concentration des atomes d'oxygène dans l'eau à 304,5 °C155 bars = 2,396 × 1022 at/cm3
  • Section efficace microscopique de diffusion thermique de l'atome d'hydrogène = 20 barns

Section efficace microscopique de diffusion thermique de l'atome d'oxygène = 4 barns

  • Section efficace macroscopique de diffusion de l'eau = 1,054 1 cm−1
  • Libre parcours moyen des neutrons thermiques dans l'eau = 1 / 1,0541 = 0,949 cm
  • Le temps de parcours du libre parcours à la vitesse thermique est de 3,074 × 10−6 seconde soit pour 27 chocs environ 8,35 × 10−5 s
  • Section efficace microscopique de diffusion rapide de l'atome d'hydrogène = 4 barns
  • Section efficace microscopique de diffusion rapide de l'atome d'oxygène = 3 barns
  • Section efficace macroscopique de diffusion des neutrons rapides dans l'eau = 0,263 5 cm−1
  • Libre parcours moyen des neutrons rapides dans l'eau = 1 / 0,2635 = 3,79 cm
  • Le temps de parcours du libre parcours à la vitesse rapide est de 4,92 × 10−10 s soit pour 27 chocs environ 1,34 × 10−8 s

La durée du ralentissement est estimée grossièrement égale à la moyenne des deux valeurs trouvées, à savoir : 4,2 E−5 s.

Notes et références

  1. La radioactivité, CNRS, edp Sciences
  2. Ce peut être un noyau du modérateur, des structures ou du combustible
  3. Dans le cas du sodium la température est de 500 °C pour effectuer le calcul
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