Théorème des unités de Dirichlet

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En théorie algébrique des nombres, le théorème des unités de Dirichlet détermine, pour un corps de nombres K – c'est-à-dire pour une extension finie du corps ℚ des nombres rationnels –, la structure du « groupe des unités » (ou : groupe des inversibles) de l'anneau de ses entiers algébriques. Il établit que ce groupe est isomorphe au produit d'un groupe cyclique fini et d'un groupe abélien libre de rang r1 + r2 – 1,r1 désigne le nombre de morphismes de K dans et r2 le nombre de paires de morphismes conjugués de K dans ℂ à valeurs non toutes réelles.

Définitions et théorème

  • Un corps de nombres est une extension finie de ℚ, c'est-à-dire un sous-corps de ℂ qui, en tant qu'espace vectoriel sur ℚ, est de dimension finie. Si K est un tel corps, de dimension n sur ℚ, le nombre de morphismes de corps (ou plongements) de K dans ℂ est égal à n (cf. l'article « Extension séparable »). Or la composée de l'automorphisme de conjugaison et d'un plongement est encore un plongement. On a donc n = r1 + 2r2, où r1 désigne le nombre des plongements à valeurs réelles et r2 celui des paires de plongements conjugués à valeurs non toutes réelles.
  • Un nombre complexe est dit entier algébrique s'il est racine d'un polynôme unitaire à coefficients dans l'anneau ℤ des entiers relatifs.
  • Un groupe abélien libre de rang r est un groupe isomorphe à ℤr.

Le théorème des unités de Dirichlet s'exprime de la manière suivante :

Le groupe des unités de l'anneau des entiers d'un corps de nombres K est isomorphe au produit du groupe (cyclique fini d'ordre pair) des racines de l'unité de K et d'un groupe abélien libre de rang r1 + r2 – 1 où r1 désigne le nombre de plongements de K dans ℝ et r2 le nombre de paires de plongements non réels de K dans ℂ.

Exemples

Considérons la fermeture intégrale d'un corps quadratique, c'est-à-dire l'anneau des entiers algébriques d'une extension quadratique de ℚ. (Une démonstration directe du théorème dans ce cas particulier est donnée dans l'article détaillé.) On a donc ici : r1 + 2r2 = 2.

Si cet anneau est inclus dans le corps des réels, r2 est nul donc r1 est égal à 2. Le groupe est isomorphe à {1, –1}×ℤ. Cette situation est par exemple celle des entiers du corps quadratique ℚ(5). L'équation de Pell-Fermat se résout à l'aide de la détermination du groupe des unités de l'anneau des entiers d'un corps quadratique réel.

Sinon, r2 est égal à 1 et r1 est nul. Le groupe est cyclique fini ; il est en général réduit à {1, –1}, sauf pour les entiers de Gauss et ceux d'Eisenstein. Ces deux anneaux d'entiers quadratiques sont les seules fermetures intégrales d'un corps de nombres à posséder un groupe des unités d'ordre fini strictement supérieur à 2.

Pour tout corps de nombres autre que ℚ lui-même et les corps quadratiques imaginaires, le groupe des unités de l'anneau des entiers est infini puisque le rang r1 + r2 – 1 est supérieur ou égal à 1. Ce rang est égal à 1 si et seulement si le corps est soit quadratique réel, soit cubique (en) complexe, soit quartique totalement imaginaire (en). Dans ces trois cas, tout générateur du facteur abélien libre ℤ est appelé une unité fondamentale (en).

Démonstration

Les n = r1 + 2r2 plongements de K dans ℂ sont notés σ1, … , σn, les r1 premiers désignant les plongements réels et les {σr1+k, σr1+r2+k} (pour k de 1 à r2) désignant les paires de plongements conjugués.

La norme relative d'un élément α de K est le rationnel produit de ses éléments conjugués :

N K / Q ( α ) = σ 1 ( α ) σ n ( α ) = σ 1 ( α ) σ r 1 ( α ) | σ r 1 + 1 ( α ) | 2 | σ r 1 + r 2 ( α ) | 2 . {\displaystyle {\mathcal {N}}_{K/\mathbb {Q} }(\alpha )=\sigma _{1}(\alpha )\ldots \sigma _{n}(\alpha )=\sigma _{1}(\alpha )\ldots \sigma _{r_{1}}(\alpha )|\sigma _{r_{1}+1}(\alpha )|^{2}\ldots |\sigma _{r_{1}+r_{2}}(\alpha )|^{2}.}

Si α appartient à l'anneau OK des entiers algébriques de K alors ce rationnel est un entier, et α appartient au groupe E(K) des unités de OK si et seulement si cet entier vaut ±1.

Ceci motive la définition du morphisme de groupes suivant :

L : E ( K ) R r 1 + r 2 α ( log | σ 1 ( α ) | , , log | σ r 1 ( α ) | , 2 log | σ r 1 + 1 ( α ) | , , 2 log | σ r 1 + r 2 ( α ) | ) , {\displaystyle {\begin{matrix}L:&E(K)&\rightarrow &\mathbb {R} ^{r_{1}+r_{2}}\\&\alpha &\mapsto &{\big (}\log |\sigma _{1}(\alpha )|,\cdots ,\log |\sigma _{r_{1}}(\alpha )|,2\log |\sigma _{r_{1}+1}(\alpha )|,\ldots ,2\log |\sigma _{r_{1}+r_{2}}(\alpha )|{\big )},\end{matrix}}}

où ln désigne la fonction logarithme et |x| désigne la valeur absolue de x ou son module, selon que x est réel ou complexe.

Quelques observations relativement élémentaires permettent de démontrer une grande partie de l'énoncé :

  • Par construction, l'image de L est incluse dans l'hyperplan de ℝr1+r2 d'équation ∑xk=0 ;
  • Un lemme sur les éléments conjugués permet d'affirmer que pour tout réel M, il n'existe dans OK – et a fortiori dans E(K) – qu'un nombre fini d'éléments dont tous les conjugués sont de module inférieur ou égal à M.
    • L'image de L est par conséquent un sous-groupe discret de cet hyperplan, donc un groupe abélien libre de rang inférieur ou égal à r1 + r2 – 1.
    • De ce lemme, on déduit également que le noyau de L est un sous-groupe fini du groupe multiplicatif de ℂ, donc cyclique et constitué de racines de l'unité. Réciproquement, toute racine de l'unité de K appartient clairement à ce noyau.
    • Enfin, –1 est un élément d'ordre 2 du noyau, donc ce groupe fini est d'ordre pair.

On obtient ainsi déjà :

E ( K ) C × Z r  avec  C  cyclique fini et  r r 1 + r 2 1 , {\displaystyle E(K)\simeq C\times \mathbb {Z} ^{r}{\text{ avec }}C{\text{ cyclique fini et }}r\leq r_{1}+r_{2}-1,}

C est le groupe des racines de l'unité de K.

Mais l'essentiel de la preuve du théorème est de montrer que r est aussi supérieur ou égal à r1 + r2 – 1. On utilise pour cela le théorème de Minkowski et les propriétés du groupe des classes d'idéaux.

Cas particulier : preuve[1] que r ≥ 1 quand r1 = 2 et r2 = 0.

C'est le cas particulier d'un corps quadratique réel : K = ℚ(d) avec d > 0 et OK = ℤ[ω]. Le morphisme L de E(K) dans ℝ2 est ici l'application qui à α associe (ln(|α|), ln(|αc|)). Son noyau C est le sous-groupe {–1, 1}.

  • Il existe un nombre réel B, et une infinité d'éléments de OK dont la norme en valeur absolue est plus petite que B.

L'argument utilisé est géométrique, il correspond à l'usage du théorème de Minkowski sur un réseau, ici de ℝ2. Un réseau de ℝ2 est un sous-groupe discret. Graphiquement, il correspond à un quadrillage constitué par les 4 sommets nu + mvu et v sont deux vecteurs libres de ℝ2 et n et m des éléments de ℤ. Le volume fondamental V du réseau est égal à la surface du parallélogramme constitué par les quatre points 0, u, v, u + v. Le théorème de Minkowski indique qu'un rectangle centré en (0, 0) et de surface strictement supérieure à 4 fois celle du volume fondamental contient au moins un point du réseau différent du point nul.

On choisit B strictement supérieur à V et on construit une suite de points correspondant à des éléments αn de ℤ[ω], dont la norme est en valeur absolue toujours plus petite que B, et une suite de rectangles. La largeur du rectangle diminue chaque fois suffisamment pour être certain que les points précédents de la suite d'éléments de ℤ[ω] ne puissent faire partie du nouveau rectangle. La hauteur du rectangle augmente suffisamment pour que le théorème de Minkowski nous assure de l'existence d'un point de ℤ[ω] dans le nouveau rectangle.

Soit φ, l'application de K dans ℝ2, qui à un élément α associe (α, αc). L'image de OK par φ est le réseau de ℝ2 engendré par les vecteurs u = (1, 1) et v = (ω, ωc) car (1, ω) forme une base du ℤ-module OK.

On considère la suite de rectangles Rn centrés en 0 de largeur 2tn et de hauteur 2B/tn. Leurs surfaces sont toujours égales à 4B et ils contiennent nécessairement un point de l'image de ℤ[ω] d'après le théorème de Minkowski. Un point β de OK dont l'image par φ est dans le rectangle Rn, possède une valeur absolue inférieure à tn et un conjugué de valeur absolue inférieure à B/tn. Sa norme est en conséquence bien bornée par B.

Définissons par récurrence les suites (tn), correspondant à la demi-longueur des rectangles et αn la suite des points de OK dont l'image est dans Rn. On pose t0 = 1 et α0 un point non nul de ℤ[ω] et dont l'image est dans R0. Supposons les deux suites définies à l'ordre n. Soit tn + 1 un réel strictement positif et strictement inférieur à la valeur absolue de αn. Le rectangle Rn + 1 ne contient aucune image des αj si j est inférieur ou égal à n car sa longueur est strictement plus petite que la valeur absolue du plus petit des αj, qui forme une suite décroissante en valeur absolue. En revanche, sa surface, égale à 4B > 4V garantit, d'après le théorème de Minkowski, l'existence d'un point αn + 1 non nul dont l'image est à l'intérieur du rectangle Rn + 1. La suite (αn) est bien une suite infinie de points distincts dont la valeur absolue de la norme est strictement inférieure à B.

  • Il existe deux indices i et j distincts et une unité ε de ℤ[ω] tels que αi = ε.αj :

Autrement dit, en notant Ji l'idéal principal engendré αi : il existe deux indices i et j distincts tels Ji=Jj. Soit N>0 un entier tel que la suite des valeurs absolues des normes des αi prenne la valeur N pour une infinité d'indices i (un tel entier existe puisque cette suite est bornée). Tous les Ji correspondants sont des sous-groupes additifs de ℤ[ω] qui contiennent Nℤ[ω]. Il n'y en a donc qu'un nombre fini, puisqu'ils correspondent bijectivement à des sous-groupes du groupe quotient ℤ[ω]/Nℤ[ω], qui est fini (de cardinal N2). D'où la conclusion.

  • Il existe une unité différente de ±1.

Soient i, j et ε comme ci-dessus. Comme αi et αj sont de valeurs absolues différentes, on en déduit que ε, égal au quotient αij, ne peut être égal à ±1. On a ainsi montré l'existence d'une unité différente de ±1.

Cas général : preuve[2] que r ≥ r1 + r2 – 1.

Soient :

  • Σ : K R r 1 × C r 2 R n α Σ ( α ) = ( σ 1 ( α ) , , σ r 1 + r 2 ( α ) ) ; {\displaystyle {\begin{matrix}\Sigma :&K&\longrightarrow &\mathbb {R} ^{r_{1}}\times \mathbb {C} ^{r_{2}}\simeq \mathbb {R} ^{n}&\\&\alpha &\mapsto &\Sigma (\alpha )&={\big (}\sigma _{1}(\alpha ),\cdots ,\sigma _{r_{1}+r_{2}}(\alpha ){\big )};\end{matrix}}}
  • V le volume fondamental du réseau Σ(OK) ;
  • des réels cj suffisamment grands pour que le convexe
    X = { ( x 1 , , x r 1 + r 2 ) R r 1 × C r 2   |   j , | x j | < c j } {\displaystyle X=\{(x_{1},\ldots ,x_{r_{1}+r_{2}})\in \mathbb {R} ^{r_{1}}\times \mathbb {C} ^{r_{2}}~|~\forall j,|x_{j}|<c_{j}\}}
    soit de volume strictement supérieur à 2nV ;
  • c = c 1 c r 1 c r 1 + 1 2 c r 1 + r 2 2 ; {\displaystyle c=c_{1}\ldots c_{r_{1}}c_{r_{1}+1}^{2}\ldots c_{r_{1}+r_{2}}^{2};}
  • a1OK, … , aNOK les idéaux principaux dont norme est majorée en valeur absolue par c (l'étude du groupe des classes d'idéaux montre qu'ils sont en nombre fini) ;
  • y1, … , yr1+r2 les réels définis par
    j 2 ,   y j = c j min ( | σ j ( a 1 ) | , , | σ j ( a N ) | ) et y 1 y r 1 y r 1 + 1 2 y r 1 + r 2 2 = 1. {\displaystyle \forall j\geq 2,~y_{j}={\frac {c_{j}}{\min(|\sigma _{j}(a_{1})|,\ldots ,|\sigma _{j}(a_{N})|)}}\quad {\text{et}}\quad y_{1}\ldots y_{r_{1}}y_{r_{1}+1}^{2}\ldots y_{r_{1}+r_{2}}^{2}=1.}

Alors :

  • d'après le théorème de Minkowski, il existe dans OK un élément a non nul tel que j ,   | σ j ( a ) y j | < c j {\displaystyle \scriptstyle \forall j,~|\sigma _{j}(a)y_{j}|<c_{j}}  ;
  • on en déduit que | N K / Q ( a ) | < c {\displaystyle \scriptstyle |{\mathcal {N}}_{K/\mathbb {Q} }(a)|<c} . L'élément a est donc de la forme aku1 pour un certain k ≤ N et une certaine unité u1 ;
  • par définition de y2, … , yr1+r2 on a alors : j > 1 ,   | σ j ( u 1 ) | < 1 {\displaystyle \scriptstyle \forall j>1,~|\sigma _{j}(u_{1})|<1} .

On construit de même, pour tout i de 2 à r1 + r2 – 1, une unité ui telle que j i ,   | σ j ( u i ) | < 1 {\displaystyle \scriptstyle \forall j\neq i,~|\sigma _{j}(u_{i})|<1} . Ainsi, pour chaque i de 1 à r1 + r2 – 1, la somme des r1 + r2 composantes du vecteur L(ui) est nulle et toutes sont strictement négatives sauf la i-ième. Il en résulte que la matrice carrée de taille r1 + r2 – 1 obtenue en disposant ces vecteurs en lignes et en supprimant la dernière colonne est à diagonale strictement dominante, donc inversible, si bien que (L(u1), … , L(ur1+r2–1)) est libre.

Prolongements

La rareté des unités est mesurée par le volume fondamental de l'image de L (dans l'hyperplan de ℝr+1 d'équation ∑xk=0). Ce volume est égal à Rr+1, où R est le régulateur de K, défini comme la valeur absolue du déterminant de n'importe quelle matrice carrée de taille r obtenue en disposant en lignes les r vecteurs d'une base de Im(L) et en supprimant une colonne.

Par ailleurs, le calcul de bases pour la partie libre du groupe des unités est effectif, mais se heurte en pratique à la complexité des calculs dès que le degré r1 + 2r2 de l'extension K augmente (les problèmes surviennent généralement avant le degré 100)[réf. nécessaire].

Le théorème admet des généralisations dans plusieurs axes : étude du groupe des S-unités, pour S un ensemble d'idéaux premiers, c'est-à-dire, grossièrement parlant, des éléments dont les composantes suivant tous les facteurs sont inversibles, sauf un certain nombre prescrit ; ou bien des caractères pour l'action d'un groupe de Galois sur ces groupes d'unités.

Notes et références

  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Dirichlet's unit theorem » (voir la liste des auteurs).
  • Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Groupe des unités d'un anneau d'entiers quadratiques » (voir la liste des auteurs).
  1. Cette présentation s'inspire de la preuve du cas général donnée dans Bas Edixhoven, « Théorie algébrique des nombres », sur université de Rennes 1, cours de maîtrise de mathématiques, , p. 40-41.
  2. Inspirée de (en) Gerald J. Janusz, Algebraic Number Fields, Academic Press, coll. « Pure and Applied Mathematics » (no 55), , 3e éd., 220 p. (ISBN 978-0-12-380250-7, lire en ligne), p. 58-61

Voir aussi

Liens externes

Bibliographie

Pierre Samuel, Théorie algébrique des nombres [détail de l’édition]

  • icône décorative Arithmétique et théorie des nombres