Déterminant de Cayley-Menger

En algèbre linéaire et en géométrie, le déterminant de Cayley-Menger donne une expression de l'hypervolume d'un simplexe en fonction des carrés des distances entre ses sommets. Ce déterminant porte le nom d'Arthur Cayley et de Karl Menger.

Expression du déterminant

Soient A 0 , A 1 , , A n {\textstyle A_{0},A_{1},\ldots ,A_{n}} n + 1 {\displaystyle n+1} points d'un espace euclidien de dimension m {\displaystyle m} avec m n {\displaystyle m\geqslant n} . Ces points sont les sommets d'un simplexe de dimension n (triangle pour n = 2 {\displaystyle n=2} , tétraèdre pour n = 3 {\displaystyle n=3} , pentachore pour n = 4 {\displaystyle n=4} ). Notant d i j {\textstyle d_{ij}} la distance du sommet A i {\displaystyle A_{i}} au sommet A j {\textstyle A_{j}} , le volume V n {\displaystyle V_{n}} n-dimensionnel de ce simplexe s'exprime par les déterminants suivants [1] :

V n 2 = 1 ( n ! ) 2 2 n | 2 d 01 2 d 01 2 + d 02 2 d 12 2 d 01 2 + d 0 n 2 d 1 n 2 d 01 2 + d 02 2 d 12 2 2 d 02 2 d 02 2 + d 0 n 2 d 2 n 2 d 01 2 + d 0 n 2 d 1 n 2 d 02 2 + d 0 n 2 d 2 n 2 2 d 0 n 2 | = ( 1 ) n + 1 ( n ! ) 2 2 n | 0 d 01 2 d 02 2 d 0 n 2 1 d 01 2 0 d 12 2 d 1 n 2 1 d 02 2 d 12 2 0 d 2 n 2 1 d 0 n 2 d 1 n 2 d 2 n 2 0 1 1 1 1 1 0 | . {\displaystyle {\begin{aligned}V_{n}^{2}&={\frac {1}{(n!)^{2}2^{n}}}{\begin{vmatrix}2d_{01}^{2}&d_{01}^{2}+d_{02}^{2}-d_{12}^{2}&\cdots &d_{01}^{2}+d_{0n}^{2}-d_{1n}^{2}\\d_{01}^{2}+d_{02}^{2}-d_{12}^{2}&2d_{02}^{2}&\cdots &d_{02}^{2}+d_{0n}^{2}-d_{2n}^{2}\\\vdots &\vdots &\ddots &\vdots \\d_{01}^{2}+d_{0n}^{2}-d_{1n}^{2}&d_{02}^{2}+d_{0n}^{2}-d_{2n}^{2}&\cdots &2d_{0n}^{2}\end{vmatrix}}\\[10pt]&={\frac {(-1)^{n+1}}{(n!)^{2}2^{n}}}{\begin{vmatrix}0&d_{01}^{2}&d_{02}^{2}&\cdots &d_{0n}^{2}&1\\d_{01}^{2}&0&d_{12}^{2}&\cdots &d_{1n}^{2}&1\\d_{02}^{2}&d_{12}^{2}&0&\cdots &d_{2n}^{2}&1\\\vdots &\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots \\d_{0n}^{2}&d_{1n}^{2}&d_{2n}^{2}&\cdots &0&1\\1&1&1&\cdots &1&0\end{vmatrix}}.\end{aligned}}}

Le déterminant de Cayley-Menger D n {\displaystyle D_{n}} est celui de la deuxième formule. La matrice dont D n {\displaystyle D_{n}} est le déterminant est la matrice d'ordre n + 1 {\displaystyle n+1} de terme général d i j 2 , pour  0 i , j n {\displaystyle d_{ij}^{2},{\text{pour }}0\leqslant i,j\leqslant n} , bordée par des 1 à droite et en dessous, complétée par un 0. On peut aussi mettre les 1 à gauche et en haut.

Exemples

Pour n = 2 {\displaystyle n=2} , notant a,b,c les longueurs des côtés du triangle, on a les développements et factorisations :

D 2 = | 0 1 1 1 1 0 a 2 b 2 1 a 2 0 c 2 1 b 2 c 2 0 | = | 2 a 2 a 2 + b 2 c 2 a 2 + b 2 c 2 2 b 2 | = 4 a 2 b 2 ( a 2 + b 2 c 2 ) 2 = ( a 2 + b 2 + c 2 ) 2 2 ( a 4 + b 4 + c 4 ) = ( a + b + c ) ( a + b c ) ( a b + c ) ( a + b + c ) {\displaystyle {\begin{aligned}-D_{2}=-{\begin{vmatrix}0&1&1&1\\1&0&a^{2}&b^{2}\\1&a^{2}&0&c^{2}\\1&b^{2}&c^{2}&0\end{vmatrix}}&={\begin{vmatrix}2a^{2}&a^{2}+b^{2}-c^{2}\\a^{2}+b^{2}-c^{2}&2b^{2}\end{vmatrix}}\\[8pt]&=4a^{2}b^{2}-(a^{2}+b^{2}-c^{2})^{2}\\[6pt]&=(a^{2}+b^{2}+c^{2})^{2}-2(a^{4}+b^{4}+c^{4})\\[6pt]&=(a+b+c)(a+b-c)(a-b+c)(-a+b+c)\end{aligned}}}

Le carré de l'aire du triangle est V 2 2 = D 2 16 {\displaystyle V_{2}^{2}=-{\frac {D_{2}}{16}}} , et l'on retrouve la formule de Héron.

C'est une expression polynomiale symétrique en les longueurs des côtés. Pour n > 2 {\displaystyle n>2} , elle n'est plus symétrique en les n ( n 1 ) / 2 {\displaystyle n(n-1)/2} variables d i j {\displaystyle d_{ij}} , mais seulement invariante par les n ! {\displaystyle n!} permutations sur les indices des sommets ; elle n'est plus non plus factorisable [2].

Pour n = 3 {\displaystyle n=3} , renommant A 1 , A 2 , A 3 , A 4 {\textstyle A_{1},A_{2},A_{3},A_{4}} les sommets du tétraèdre, on a D 3 = | 0 1 1 1 1 1 0 d 12 2 d 13 2 d 14 2 1 d 12 2 0 d 23 2 d 24 2 1 d 13 2 d 32 2 0 d 34 2 1 d 14 2 d 24 2 d 34 2 0 | {\displaystyle D_{3}={\begin{vmatrix}0&1&1&1&1\\1&0&d_{12}^{2}&d_{13}^{2}&d_{14}^{2}\\1&d_{12}^{2}&0&d_{23}^{2}&d_{24}^{2}\\1&d_{13}^{2}&d_{32}^{2}&0&d_{34}^{2}\\1&d_{14}^{2}&d_{24}^{2}&d_{34}^{2}&0\end{vmatrix}}} et V 3 2 = D 3 288 {\displaystyle V_{3}^{2}={\frac {D_{3}}{288}}} .

Cette dernière formule avait été obtenue (sous une forme développée) par Piero della Francesca ; elle est aussi connue sous le nom de « formule de Tartaglia »[3],[4].

Cette formule est valable pour des points coplanaires, auquel cas D 3 {\displaystyle D_{3}} est nul, et fournit donc une relation entre les 6 distances mutuelles de quatre points dans un plan.

Démonstration

Si les vecteurs colonnes A 0 , A 1 , , A n {\textstyle A_{0},A_{1},\ldots ,A_{n}} sont les coordonnées de n + 1 {\displaystyle n+1} points d'un espace euclidien de dimension n {\displaystyle n} , on a la formule du volume :

V n = 1 n ! | det M | {\displaystyle V_{n}={\frac {1}{n!}}\left|\det M\right|\,} M = ( A 0 A 1 A n 1 1 1 ) {\displaystyle M={\begin{pmatrix}A_{0}&A_{1}&\cdots &A_{n}\\1&1&\cdots &1\end{pmatrix}}} .

Le déterminant de M {\displaystyle M} reste inchangé par ajout d'une ligne et d'une colonne supplémentaires comme suit :

P = ( A 0 A 1 A n 0 1 1 1 0 A 0 2 A 1 2 A n 2 1 ) , {\displaystyle P={\begin{pmatrix}A_{0}&A_{1}&\cdots &A_{n}&0\\1&1&\cdots &1&0\\\|A_{0}\|^{2}&\|A_{1}\|^{2}&\cdots &\|A_{n}\|^{2}&1\end{pmatrix}}\,,}

A j 2 {\displaystyle \|A_{j}\|^{2}} est le carré de la norme du vecteur A j {\displaystyle A_{j}} . De plus la matrice d'ordre n + 2 {\displaystyle n+2}

Q = ( 2 0 0 0 0 0 2 0 0 0 0 0 2 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 1 0 ) {\displaystyle Q={\begin{pmatrix}-2&0&\cdots &0&0&0\\0&-2&\cdots &0&0&0\\\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots &\vdots \\0&0&\cdots &-2&0&0\\0&0&\cdots &0&0&1\\0&0&\cdots &0&1&0\end{pmatrix}}}

a pour déterminant ( 2 ) n ( 1 ) = ( 1 ) n + 1 2 n {\displaystyle (-2)^{n}(-1)=(-1)^{n+1}2^{n}} . Ainsi,

det ( 0 d 01 2 d 02 2 d 0 n 2 1 d 01 2 0 d 12 2 d 1 n 2 1 d 02 2 d 12 2 0 d 2 n 2 1 d 0 n 2 d 1 n 2 d 2 n 2 0 1 1 1 1 1 0 ) = det ( P T Q P ) = det ( Q ) det ( P ) 2 = ( 1 ) n + 1 2 n ( n ! ) 2 V n 2 {\displaystyle \det {\begin{pmatrix}0&d_{01}^{2}&d_{02}^{2}&\cdots &d_{0n}^{2}&1\\d_{01}^{2}&0&d_{12}^{2}&\cdots &d_{1n}^{2}&1\\d_{02}^{2}&d_{12}^{2}&0&\cdots &d_{2n}^{2}&1\\\vdots &\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots \\d_{0n}^{2}&d_{1n}^{2}&d_{2n}^{2}&\cdots &0&1\\1&1&1&\cdots &1&0\end{pmatrix}}=\det(P^{T}QP)=\det(Q)\det(P)^{2}=(-1)^{n+1}2^{n}(n!)^{2}V_{n}^{2}\,} [3].

Le premier déterminant est obtenu par combinaisons et développements sur les lignes et colonnes.

Voir une autre démonstration dans [5].

Généralisation aux géométries hyperbolique et sphérique

Il existe des généralisations sphériques et hyperboliques[6] ,[7]. Une démonstration peut en être trouvée ici [8].

Dans un espace sphérique de dimension n 1 {\displaystyle n-1} et de courbure constante 1 / R 2 {\displaystyle 1/R^{2}} , n + 1 {\displaystyle n+1} points satisfont à

| 0 f ( d 01 ) f ( d 02 ) f ( d 0 n ) 1 f ( d 01 ) 0 f ( d 12 ) f ( d 1 n ) 1 f ( d 02 ) f ( d 12 ) 0 f ( d 2 n ) 1 f ( d 0 n ) f ( d 1 n ) f ( d 2 n ) 0 1 1 1 1 1 1 2 R 2 | = 0 {\displaystyle {\begin{vmatrix}0&f(d_{01})&f(d_{02})&\cdots &f(d_{0n})&1\\f(d_{01})&0&f(d_{12})&\cdots &f(d_{1n})&1\\f(d_{02})&f(d_{12})&0&\cdots &f(d_{2n})&1\\\vdots &\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots \\f(d_{0n})&f(d_{1n})&f(d_{2n})&\cdots &0&1\\1&1&1&\cdots &1&{\frac {1}{2R^{2}}}\end{vmatrix}}=0}

f ( d ) = 2 R 2 ( 1 cos d R ) {\displaystyle f(d)=2R^{2}\left(1-\cos {\frac {d}{R}}\right)} , et d i j {\displaystyle d_{ij}} est la distance sphérique entre les points numérotés i , j {\displaystyle i,j} .

Dans un espace hyperbolique de dimension n 1 {\displaystyle n-1} et de courbure constante 1 / R 2 {\displaystyle -1/R^{2}} , n + 1 {\displaystyle n+1} points satisfont à

| 0 f ( d 01 ) f ( d 02 ) f ( d 0 n ) 1 f ( d 01 ) 0 f ( d 12 ) f ( d 1 n ) 1 f ( d 02 ) f ( d 12 ) 0 f ( d 2 n ) 1 f ( d 0 n ) f ( d 1 n ) f ( d 2 n ) 0 1 1 1 1 1 1 2 R 2 | = 0 {\displaystyle {\begin{vmatrix}0&f(d_{01})&f(d_{02})&\cdots &f(d_{0n})&1\\f(d_{01})&0&f(d_{12})&\cdots &f(d_{1n})&1\\f(d_{02})&f(d_{12})&0&\cdots &f(d_{2n})&1\\\vdots &\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots \\f(d_{0n})&f(d_{1n})&f(d_{2n})&\cdots &0&1\\1&1&1&\cdots &1&-{\frac {1}{2R^{2}}}\end{vmatrix}}=0}

f ( d ) = 2 R 2 ( cosh d R 1 ) {\displaystyle f(d)=2R^{2}\left(\cosh {\frac {d}{R}}-1\right)} , et d i j {\displaystyle d_{ij}} est la distance hyperbolique entre les points numérotés i , j {\displaystyle i,j} .

Applications

Le déterminant pour n = 3 {\displaystyle n=3} peut être utilisé pour démontrer le théorème de Descartes, ainsi que le théorème de Stewart.

Rayon de la sphère circonscrite d'un simplexe

Un n-simplexe non dégénéré, possède une n -sphère circonscrite, de rayon R {\displaystyle R} . Le n + 1-simplexe composé des sommets du n -simplexe et du centre de la n-sphère est alors dégénéré. Ainsi, nous avons la nullité du déterminant d'ordre n + 3:

| 0 R 2 R 2 R 2 R 2 1 R 2 0 d 01 2 d 02 2 d 0 n 2 1 R 2 d 01 2 0 d 12 2 d 1 n 2 1 R 2 d 02 2 d 12 2 0 d 2 n 2 1 R 2 d 0 n 2 d 1 n 2 d 2 n 2 0 1 1 1 1 1 1 0 | = 0 {\displaystyle {\begin{vmatrix}0&R^{2}&R^{2}&R^{2}&\cdots &R^{2}&1\\R^{2}&0&d_{01}^{2}&d_{02}^{2}&\cdots &d_{0n}^{2}&1\\R^{2}&d_{01}^{2}&0&d_{12}^{2}&\cdots &d_{1n}^{2}&1\\R^{2}&d_{02}^{2}&d_{12}^{2}&0&\cdots &d_{2n}^{2}&1\\\vdots &\vdots &\vdots &\vdots &\ddots &\vdots &\vdots \\R^{2}&d_{0n}^{2}&d_{1n}^{2}&d_{2n}^{2}&\cdots &0&1\\1&1&1&1&\cdots &1&0\end{vmatrix}}=0}

En particulier, lorsque n = 2 {\displaystyle n=2} , cela permet d'obtenir le rayon du cercle circonscrit à un triangle en fonction des longueurs de ses côtés.

Références

  1. D. M. Y. Sommerville, An Introduction to the Geometry of n Dimensions, New York, Dover Publications,
  2. (en) CARLOS D’ANDREA, MARTIN SOMBRA, « THE CAYLEY-MENGER DETERMINANT IS IRREDUCIBLE FOR n ≥ 3 », ?,‎ ? (lire en ligne)
  3. a et b (en) "Simplex Volumes and the Cayley-Menger Determinant", MathPages.com
  4. « Déterminants de Cayley-Menger »
  5. Marcel Berger, Géométrie, t. 1, Cassini, , p. 279-280
  6. (en) Blumenthal et Gillam, « Distribution of Points in n-Space », The American Mathematical Monthly, vol. 50, no 3,‎ , p. 181 (DOI 10.2307/2302400, JSTOR 2302400)
  7. Audet, « Déterminants sphérique et hyperbolique de Cayley–Menger », Bulletin AMQ, Association mathématique du Québec, vol. LI,‎ , p. 45–52 (lire en ligne)
  8. (en) Tao, « The spherical Cayley–Menger determinant and the radius of the Earth », What's new, (consulté le )
  • (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Cayley–Menger determinant » (voir la liste des auteurs).

Voir aussi

Trigonométrie du tétraèdre

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